Prête-moi ta plume

  • L'or du temps, par François Sureau

    L’or du temps, par François  Sureau, Paris, Gallimard, 2020, 850 pages, 27,5 euros.

    Si la civilisation est un vernis, le Conseil d’État est donc le vernis de ce vernis. Les meilleurs de ses membres connaissent sa fragilité. Ils tiennent à distance le sexe et les drames, la gaité aussi. Ils y parviennent alors même que leur palais est tout hanté d’ombres maléfiques… On croit au Conseil d’État que les opinions, du moins celles qui ne sont pas des ornements de la conversation mais peuvent disposer à l’action, sont dangereuses[1]. Un État qui, à l’instar de ses serviteurs les mieux nés, n’en aurait pas, serait le plus sûr instrument du bonheur des peuples. C’est pourquoi la jurisprudence administrative lime les dents de toute politique, par peur des catastrophes.

    François Sureau est donc devenu immortel la semaine dernière. Il  a rejoint sous la coupole de l’Académie française son (et notre) confrère Jean-Denis Bredin.

    L’or du temps est-il, en quelque sorte, sa postulation ?

  • L'Amérique en procès - Un avocat contre la justice d'Etat, par Seth Tobocman

    L’Amérique en procès – Léonard Weinglass, un avocat contra la justice d’État, par Seth Tobocman, Toulouse, Éditions Ici-bas, 2020, 224 p., 27 €.

    Dans quelles circonstances est-il justifié d’enfreindre la loi ?

    Je vois 3 critères : D’abord existait-il une menace claire et imminente ? Le 24 novembre 1986, des gens mouraient du fait des crimes de la CIA. Ensuite, l’action visait-elle à atténuer un préjudice ? Comme le déclaré le docteur Ellsberg, la contestation est le moyen par lequel le public a corrigé des injustices au cours de notre histoire. Enfin, existait-il une autre option sur le plan juridique ? Des témoins ont affirmé que le Congrès n’était pas maître de la CIA.

    Je pense que vous jugerez que les actions de ces étudiants se fondaient sur la nécessité et, ce faisant, vous les aiderez à rendre notre pays meilleur et notre avenir plus sûr.

  • Juliette ou le paradis perdu, par Anne Gruwez

    « Sous le cerisier du champ d’avoine, elle lui dit les vilénies du fermier qui l’emploie, qui l’emploie à tout d’ailleurs. Il écoute, horrifié. Il découvre une Juliette souillée par une brute. Il est en rage. Et c’est elle qu’il frappe. Et c’est d’elle qu’il soulève les jupes pour la prendre violemment. Puis, épuisé, il s’affaisse et pleure la tête dans les cheveux en lui demandant pardon. Il a honte lorsqu’elle murmure « Je savais que cela arriverait. C’est fait ». Elle sourit. »

    Via le site auvio, la RTBF nous offre une série de petits polars, sous la forme de podcasts publiés sous le titre générique Noir jaune rouge – Belgian crime story. Il s’agit, à chaque fois, de nous présenter, sous une forme un peu romancée, un crime qui défraya la chronique au siècle dernier.

  • Huy, histoires singulières en 1066 et 1766. Parcours d'images , par Joseph George

    Huy, histoires singulières en 1066 et 1766. Parcours d’images, par Joseph George, Editions IdéeLumineuse, 2016, 147 p., 35 €[1].

     

    Les particularités de la charte-franchise du 26 août 1066 sont nombreuses :

    • La charte de liberté-franchise a d’abord été accordée dans une période de paix entre ceux qui ont contracté celle-ci.

    Ce fait est tout à fait remarquable dans l’histoire.

    La plupart des acquis au sein du moyen-âge seront obtenus par la suite d’insurrections, de guerres, de révoltes contre les diverses formes d’autorité.

    Il s’agira bien souvent d’arracher des libertés.

    Ce ne sera pas le cas à Huy.

    L’accord intervenu entre les bourgeois[2] représentant le pouvoir civil local, et l’évêque de Liège, représentant le pouvoir religieux, a été convenu en parfaite entente.

    • Qui dit contrat convenu amiablement dit également négociations.

    Il est certain que les clauses de la charte ont fait l’objet de négociations nécessitant de nombreuses réunions…

  • Juger mais 68 (3 petits livres d'Emmanuel Pierrat)

    Juger mai 68, suivi de J’ai choisi la liberté, par Emmanuel Pierrat, Paris, Points, 2018, 44 p., 3 €.

    Totalement amoral, suivi de Vive la France quand même, par Emmanuel Pierrat, Paris, Points, 2019, 46 p., 3 €.

    Vous injuriez une innocente, suivi de Si Violette a menti, par Emmanuel Pierrat, Paris, Points, 2018, 44 p., 3 €.

    L’évènement littéraire de la rentrée ? Beaucoup plus que cela sans doute… Qu’elle coïncide avec celle d’un livre est chose assez rare pour qu’on la salue… C’est un grand écrivain qui est en prison et dit son innocence et nos vérités avec des mots qui brûlent. L’y laisserons-nous ?

    Quelle curieuse histoire que celle de Pierre Goldman, demi-frère ainé d’un certain Jean-Jacques, fils de résistants communistes juifs (« Dans mon berceau, il y avait des tracts et des armes que l’on dissimulait », dira-t-il), étudiant militant qui, en 1966, attiré par l’odeur du Che, fit le voyage de La Havane, soixante-huitard, et pas des plus pacifistes, qui va se frotter ensuite, au Venezuela, avec la révolte et la révolution, puis revient en France trainer son ennui dans des milieux interlopes et des bars jamaïcains où il fréquente des personnages louches, dont d’ancien légionnaires qui se font appeler « les Katangais ».

  • Sur le bout de la langue, par Bertrand Périer

    Sur le bout de la langue, par Bertrand Périer, Paris, Jean-Claude Lattès, 2019, 194 p., 19 €.

    Un avocat, l’été, se présente en pantalon clair sous sa robe. Les juges sont visiblement choqués par cette liberté (il en est de très conservateurs). L’avocat, sentant que les juges ne l’écoute pas mais sont obnubilés par son pantalon : « Si la cour préfère, je peux l’enlever ».

    Cette anecdote est célèbre. Voici donc comment on la raconte à Paris. À Liège, le mot est attribué à Paul Tschoffen, dans des conditions plus précises. Il se serait présenté à l’audience, un samedi matin (hé oui, à cette époque, il y avait des audiences le samedi), en pantalon blanc car il allait disputer une partie de tennis immédiatement après celle-ci. La cour lui en aurait fait la remarque : « Maître, votre pantalon… ». Et il aurait répliqué : « La cour souhaite-t-elle que je l’enlève… ? ».

    Des bons mots de ce type vous en trouverez une bonne vingtaine dans cet ouvrage. Parfois attribué à des avocats, parfois non. Plusieurs d’entre eux sont de l’avocat genevois Marc Bonnant, avec lequel Bertrand Périer entretient une relation de maître à disciple. C’est lui qui, notamment, raconte : « Quand j’étais enfant, on disait de moi que je parlais comme un livre. Avant de m’en réjouir, je demandais qui étais l’auteur ».

  • Les dents de l'affaire et Tumultes et dérisions, de Corinne Poncin

    Les dents de l’affaire, par Corinne Poncin, Merlin, Les déjeuners sur l’herbe, 2015, 68 p., 10 €.

    Tumultes et dérisions, par Corinne Poncin, Merlin, Les déjeuners sur l’herbe, 2007, 64 p., 9 €.

    Deux fois par semaine, Ramin-Grobiss, dit RG, comme il aimait à s’entendre appeler ainsi, trônait sur son banc en attente des hauts faits dont il allait devenir la vedette. Comme il était plaisant de déverser un mépris prétendument humoristique sur les falots comparaissant devant lui ! Plus succulent encore lorsque la presse relayait ses feintes dans les Echos du Tribunal. Il était de bon ton de rire car cela détendait l’atmosphère. Pas pour celui qui était moqué, nié, mal entendu dans la vérité qui était la sienne : mais avait-il réellement son mot à dire ?

    Le haro bien-pensant se pratiquait régulièrement dans un sens bien établi : les tenants du pouvoir vers les tenus de l’adversité. Les misérables obtiendraient le prix fort de leurs écarts s’ils étaient en faute ou coupables et le prix faible s’ils avaient osé se plaindre d’un nanti. La justice de classe calculait avec une arithmétique aussi stupéfiante que particulière, et RG en était le champion le plus brillant…

  • Soeur, d'Abel Quentin

    Sœur, par Abel Quentin, Paris, Les Editions de l’Observatoire, 2019, 255 p., 19 €.

    Jenny a encore des haut-le-cœur devant ces vidéos irréelles, ces décollations expédiées en quelques gestes experts. Elle n’a pas encore réussi à faire taire sa pudibonderie de pisseuse, ce que les kouffars appellent humanité et qui est le cache-misère de leurs compromissions. Jenny regarde, hypnotisée, se repaît de ce cérémonial macabre. Les bourreaux cagoulés ont l’air de savoir ce qu’ils font, ils n’ont ni pieds fourchus, ni regards d’assassins mais des yeux pénétrants et le geste sûr, saisi par les caméras dernier cri de l’Etat islamique. Ils prennent leur temps, font le job, appliqués, consciencieux même, et Jenny ne perd pas une miette de cette besogne de garçon boucher. Il faut bien qu’une force supranaturelle anime ces types qui égorgent sans ciller, alors qu’ils fumaient encore du shit dans la banlieue de Lyon ou de Manchester il y a un an à peine. Ils le font sans plaisir, parce qu’ils sont les serviteurs dociles et les obligés d’Allah. Purifiés des scrupules, ces ruses du Chaytan pour arrêter le sabre qui partage l’humanité en deux, les hommes et les chiens, les porcs et les purs, nous et les autres. Jenny regarde. Jenny écoute. Pour une fois, elle veut être une bonne élève.

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